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L’intelligence artificielle a-t-elle bon goût ?

L’intelligence artificielle s’invite partout : dans la finance, dans la médecine, dans nos logiciels de bureautique… et désormais dans les studios de design et d’architecture d’intérieur. Grâce à des outils comme Mid journey, Interior AI, ou Reimagine Home, on peut en quelques clics générer des visuels d’aménagement bluffants, stylés, parfois même visionnaires. Mais quand il s’agit de lieux sensibles, où l’expérience humaine est au coeur du projet — comme un hôtel, un restaurant ou un espace tertiaire — une question essentielle se pose : l’IA a-t-elle bon goût ? Et surtout, a-t-elle la sensibilité nécessaire pour concevoir des lieux qui marquent les esprits et créent de la valeur ?

L’IA : une encyclopédie de styles, mais pas une signature

Ce que l’IA fait extrêmement bien, c’est imiter. En quelques secondes, elle peut générer une centaine de variantes d’un lobby d’hôtel façon Art déco, d’une salle de restaurant inspirée du Wabi Sabi, ou d’un espace de coworking « nature et bois ». Elle connaît les tendances mainstream, les styles dominants, les palettes de couleurs qui plaisent, et les matériaux qui “font pro”. Elle compile l’existant, le digère, et le recompose avec une précision visuelle parfois saisissante. Mais si vous lui demandez de créer quelquenchose de singulier, de raconter une histoire à travers l’espace, de traduire l’ADN d’une marque, ou encore de réinterpréter l’identité d’un quartier ou d’un terroir… elle cale. Car avoir du goût dans un projet d’aménagement, ce n’est pas seulement bien agencer des formes et des textures. C’est surtout contextualiser, donner du sens et parfois surprendre.

Des lieux à vivre, pas des décors figés

Dans l’architecture d’intérieur des hôtels, des restaurants ou des bureaux, on ne cherche pas simplement à “faire beau”. On cherche à créer des ambiances, des interactions, à susciter des émotions durables. Un hôtel ne se limite pas à une chambre instagrammable ; c’est une parenthèse dans la vie d’un voyageur, une atmosphère, une expérience globale. Un restaurant, ce n’est pas qu’une salle bien décorée : c’est un tempo, une lumière bien placée, une acoustique pensée, un mobilier qui se fait oublier. Quant aux espaces tertiaires — bureaux, coworking, sièges sociaux — ils doivent répondre à des enjeux complexes : flexibilité, bien-être au travail, hybridation des usages, marque employeur… Or, l’IA ignore tout cela. Elle ne sait pas ce que c’est que de “vivre” dans un lieu. Elle ne comprend pas les flux, les contraintes réglementaires, l’acoustique, la signalétique, l’ergonomie, ni même les normes PMR. Elle ne sent pas non plus ce qui fatigue l’oeil ou ce qui apaise l’esprit. Elle génère, mais ne conçoit pas.

Le goût : un jugement esthétique, mais aussi culturel et stratégique

Dans l’univers contract le goût est aussi une stratégie. Il ne s’agit pas uniquement de faire « joli », mais de répondre à un positionnement. Voulez-vous un hôtel premium urbain destiné aux digital nomads ? Un restaurant locavore haut de gamme en pleine campagne ? Un espace de travail inclusif, modulaire et écologique ? Quel que soit la demande, qu’elle soit stéréotypée ou plus inattendue, le “bon goût” ne sera pas le même selon les publics, les lieux, les objectifs. Et c’est là que l’IA trouve ses limites : elle ne questionne pas le brief. Elle ne challenge pas le client. Elle ne détecte pas les signaux faibles d’une tendance à venir, ni les ruptures culturelles en train de s’opérer. Elle reste figée dans une esthétique « consensuelle », polie, mais sans prise de risque. 

Une IA au service du designer, pas à sa place

Faut-il pour autant tourner le dos à L’IA ? probablement pas, tout du moins pour le moment. C’est un outil puissant, surtout dans les premières phases de conception : recherches d’inspiration, variations stylistiques, tests de concepts visuels…Elle peut aussi accélérer le travail de rendu, proposer des idées auxquelles on n’aurait pas pensé, ou même ouvrir des pistes en réponse à des contraintes spécifiques. Mais elle n’est ni architecte, ni décorateur, ni designer. Elle ne remplace pas l’intelligence émotionnelle, la culture du détail, la sensibilité à la matière, à l’échelle humaine, ni l’intuition spatiale. Elle accompagne, mais elle ne décide pas.

L’intelligence artificielle, dans le domaine de l’architecture d’intérieur, donne l’illusion du goût : elle le mime à merveille, mais sans jamais en comprendre les fondements. Dans les projets complexes et sensibles comme les hôtels, les restaurants ou les espaces tertiaires, où chaque détail est porteur de sens, le goût véritable vient de l’esprit et de la main de l’humain. Alors, oui, utilisons l’IA pour aller plus vite car la majorité des projets l’exigent, pour explorer plus large et visualiser plus facilement, mais gardons à l’esprit qu’avoir du goût, c’est surtout savoir pourquoi on fait les choses. Et cette capacité-là — le “pourquoi” — ne se programme pas.

Images utilisées sous licence Shutterstock.